La théorie libérale des Relations Internationales
S’il on se réfère à la chronologie des Relations Internationales, le libéralisme est le premier cadre théorique à émerger à la suite de la Première Guerre mondiale. Choqués par les conséquences de ce conflit, certains intellectuels et politiciens se donnèrent pour objectif d’identifier les causes de la guerre dans le but dégager des solutions permettant de freiner les ardeurs belliqueuses des Etats et donc d’éviter la résurgence de conflits majeurs. S’inspirant des réflexions issues de la philosophie des Lumières et d’auteurs tels qu’Hugo Grotius, John Locke, ou encore Emmanuel Kant, les libéraux énoncèrent divers principes à l’instar des « Quatorze points de Wilson », avec pour ambition d’instaurer une paix durable au sein du système international.
Ce qui fait ainsi la particularité du libéralisme en Relations Internationales est sa vision optimiste de la nature humaine et sa croyance en la possibilité d’appliquer aux phénomènes internationaux les préceptes de la doctrine libérale telle qu’elle a pu être formulée par les philosophes et les économistes des siècles précédents. En cela, cette théorie repose sur l’adhésion à certains principes qui placent l’individu au centre des relations internationales comme par exemple la liberté, l’Etat de droit, la démocratie représentative, la coopération internationale, les droits de l’homme, le libre-échange, etc. Elle estime en effet, que dans les sociétés respectant ces règles, les décideurs politiques sont davantage soumis à la volonté du peuple qui par nature ne trouve que peu d’intérêt au conflit. Ce paradigme, contrairement à d’autres, reconnaît également l’existence d’une multitude d’acteurs sur la scène internationale, comme par exemple les Etats, mais aussi les organisations internationales (OI), les organisations non gouvernementales (ONG), les firmes multinationales (FMN), etc.
Pour les théoriciens libéraux, plusieurs éléments concourent à l’apaisement des relations internationales. Le principe d’interdépendance, directement lié à l’existence d’échanges commerciaux entre les différents Etats, est par exemple considéré comme un puissant frein à la violence entre unités étatiques. En effet, les conséquences politiques, économiques et sociales qui résulteraient d’un conflit armé entre deux Etats interdépendants deviendraient trop importantes pour que les décideurs politiques envisagent de se lancer dans une escalade belliqueuse, la prise de risque et l’incertitude d’une telle aventure étant largement supérieures aux bénéfices potentiels qui pourraient être acquis par la victoire. Le développement du droit international depuis la fin du XIXe siècle est également perçu par les libéraux comme un facteur de paix entre nations. Dans ce cas, l’existence d’un ensemble de règles conjointement reconnues par les différents Etats et régissant leurs rapports mutuels, doit servir de cadre de référence à l’action de chacun d’entre eux. En permettant de dépasser les contraintes de l’anarchie internationale, le droit international offre la possibilité de résoudre les conflits émergents de manière pacifique, avant même que ceux-ci ne dégénèrent en confrontation ouverte. Pour certains libéraux, le caractère démocratique (ou plutôt républicain) d’un régime politique agit lui aussi comme une entrave à la guerre. En effet, dans les Etats dits « démocratiques », les hommes politiques agissent dans l’ambition de parvenir ou de rester au pouvoir par l’intermédiaire des élections. Or, pour ce faire, ils doivent inévitablement répondre aux exigences de l’opinion publique et de la société civile, dont l’une des principales caractéristiques est l’aversion pour la guerre (cf. théorie de la paix démocratique). Dans une autre mesure, l’existence d’organisations internationales (ONU, OMC, etc.) et de certains mécanismes propres à ces institutions (résolutions du Conseil de sécurité, arbitrage international, etc.), créée des espaces de dialogue et une coopération de fait, qui favorisent la pacification des relations internationales.
Par conséquent, pour les libéraux, c’est la reconnaissance d’intérêts partagés entre Etats, et donc le besoin de « sécurité collective », qui doit prévaloir au sein du système international plutôt que la recherche de l’intérêt individuel, nécessairement facteur de conflit. En respectant la morale libérale, il devient alors possible d’éradiquer le fléau de la guerre pour y substituer une paix durable entre nations.
Considérée comme trop éloignée des réalités au regard de la nature humaine et des intérêts égoïstes de chaque Etat, le libéralisme fut largement critiqué, ses détracteurs n’hésitants pas à le dénoncer comme étant un courant « idéaliste »1 voire « utopiste ». Cette opposition fut d’autant plus virulente que la mouvance libérale qui prévalut durant l’entre-deux-guerres, fut critiquée pour son incapacité à prévenir l’apparition du second conflit mondial qu’elle pensait pouvoir éviter par la création d’organisations internationales, dont l’exemple le plus illustre est la Société des Nations (SDN) née en 1919. L’échec de la SDN et le cataclysme que fut la Seconde Guerre mondiale marquèrent le déclin du libéralisme en Relations Internationales et permit au courant réaliste, qui semblait fournir une meilleure explication de la politique internationale, de devenir le paradigme dominant jusqu’au début des années 1990.
Ainsi, bien qu’il soit possible d’identifier aisément les origines de la tradition libérale, il convient tout de même de rappeler que le libéralisme ne peut être appréhendé comme une théorie unifiée des Relations Internationales, mais fait davantage référence à une acceptation consensuelle et partagée de certains principes, à la fois philosophiques et normatifs, qui ont par la suite influencé les penseurs dits « libéraux ». C’est en ce sens qu’il est courant de parler des « théories libérales » plutôt que de la « théorie libérale », d’autant plus que cette tradition s’est considérablement enrichie à partir des années 1970, avec l’apparition du pluralisme libérale, du transnationalisme, de l’institutionnalisme libéral, des théorie de l’interdépendance, de la paix démocratique, de la société-monde, etc.
1 La mouvance libérale est parfois désignée sous le vocable « idéalisme » dans certains manuels de Relations Internationales, mais cette dénomination est la plupart du temps utilisée de manière sémantiquement neutre.